2ème Colloque international de l'AFIC (Association
Franco-Italienne pour la recherche sur la Philosophie Française Contemporaine)
21 novembre 2008, 9 h. 00 – 19 h. 00,
Salle Dussane, Ecole Normale Supérieure, rue d'Ulm, Paris
Selon
plusieurs commentateurs, mai '68, et l'année 1968 en général, ont marqué
l'irruption d'un renouvellement des formes de la politique. Cette thèse -
soutenue par exemple par Michel de Certeau dans son livre La prise de parole
- reconnaît dans les événements de '68 l'émergence d'une pratique - ou d'une
série de pratiques - en rupture avec l'idée traditionnelle - partagée tant par
les conservateurs que par les progressistes, et commune aux parti communistes
" historiques ", aux social-démocrates et aux libéraux - des objets,
des fins, et des champs " légitimes " de l'agir politique. Autour de
la conjoncture " Soixante-huit ", mais bien au-delà de sa stricte
événémentialité chronologique, on a assisté, non seulement à une critique de la
notion de représentation visant la séparation de fait et de droit de
gouvernants et des gouvernés ; on a assisté non seulement à la contestation de
l'idée selon laquelle l'agir politique devrait être limité à une sphère
autonome et imperméable, et monopolisé par une élite de spécialistes du
Politique ; on a surtout assisté à un déplacement des confins rigides entre la
politique et les sphères " impolitiques " : le corps, les normes
incorporées aux conduites les plus ordinaires, la gestion de la vie
quotidienne, la création artistique (surtout là, où elle demande une pratique
collective, comme dans le cinéma et le théâtre), le rapport entre l'individu et
son âge, sa " génération ", en tant que véhicule de significations et
normes politiques et sociales - tout cela et bien d'autres aspects de
l'existence humaine, ont pris soudainement une valeur politique intense,
lorsqu'on a cessé de considérer les façon de les gérer et administrer comme
naturelles et indiscutables, soustraites à toute contestation et à tout
changement délibéré, voulu et organisé. Même le travail, en particulier le
travail dans les usines, que les marxistes eux-mêmes avaient tendance à
renfermer dans le cadre d'une rationalité instrumentale hypostasiée (selon
l'idéologie majoritaire chez les deux dernières Internationales), fut interrogé
d'un point de vue nouveau : celui du statut subjectif du travailleur, et des
processus de subjectivation à l'œuvre dans le milieu de l'homme au travail. La
" prise de parole " de 1968 a placé donc une certaine subjectivation
au centre des enjeux politiques - la subjectivation en ce qu'elle avait de plus
apparemment anodin - en transformant par là l'idée même de l'agir, individuel
et collectif. Ce qui implique une signification philosophique majeure de ces
pratiques nouvelles ou renouvelés. La question de la subjectivité, de sa
capacité de se référer à soi-même pour évaluer et changer l'allure normative de
la vie, devient un enjeu philosophique central dans plusieurs pensées surgies
autour de l'événement de mai '68, et qui eurent par la suite plusieurs liens
directs ou indirects avec les nouvelles expériences politiques. Cette mouvance
amena à poser le problème d'une pensée à l'état pratique, d'une " boîte à
outils " - pour parler comme Foucault - capable de produire des concepts
et des positions à l'intérieur même des pratiques et des formes de vie. Nous
aimerions reconstruire quelques jalons de cette rencontre entre pensée et
pratiques nouvelles - une rencontre décisive dans l'histoire contemporaine, et
qui marque un point de non-retour dans la façon de penser la politique et la
philosophie. Mais il faut d'abord poser deux problèmes méthodologiques :
1) bien que 1968, ou mai '68, constituent un " événement ", donc une
irruption soudaine, il ne faut pas oublier qu'une transformation durable des
pratiques politiques ne peut pas faire l'économie d'une inscription dans la
durée. Le dépassement des champs séparés du " politique " et de
l'" impolitique " avait déjà été thématisé avant l'irruption de la
" prise de parole ", et son efficacité devint réelle tout au long des
années soixante-dix. Il importe donc de ne pas restreindre excessivement
l'extension temporellepertinente.
2) bien que ces processus aient une portée mondiale, nous avons choisi de nous
concentrer sur l'Italie et la France, et sur les liens entre ces deux pays. Ce
choix relève de l'intensité des rapports entre ces deux pays avant et après
1968, des liens entre milieux différents mais identifiables comme autant
d'expériences de marxisme critique, et des échanges d'expériences à la fois
philosophiques et politiques dans les deux sens : aujourd'hui encore, les
héritages des pensées de Gilles Deleuze et Michel Foucault continuent à agir en
France comme en Italie, en renouvelant les tentatives de produire une pensée de
l'actualité, afin que l'action dans le présent devienne elle-même porteuse de
pensée. En outre, dans ces deux pays un problème est posé aujourd'hui concernant
les perspectives d'une politique soustraite à l'exclusivité de la médiation
étatique : la crise ou tout simplement les difficultés des systèmes de la
représentation et des appareils politiques les plus vénérables entraînent une
réflexion urgente sur la signification virtuelle du mot " politique "
qui ne pourra pas être menée jusqu'au bout sans une ré-appropriation des
conjonctures historiques cruciales dans lesquelles on a assisté à des
problématisations analogues de ce signifiant. Tout en sachant qu'une journée
d'études ne puisse pas de toute évidence prétendre à une signification
directement politique, nous espérons pouvoir montrer que les enjeux concernant
le sens de l'agir politique constituent, depuis toujours, des enjeux "
naturels " de la pensée.
9 h. 00 – 12 h. 30
Andrea Cavazzini (Université de Venise –
"Cà Foscari") – Introduction: Des rencontres oubliées
Judith Revel (Université de Paris I) – Luttes italiennes, pensée
française: histoire d'un agencement
Pierangelo Di Vittorio (Université de Bari) – Le mouvement italien de
transformation de la psychiatrie: un exemple de spiritualité politique?
14 h. 00 – 18 h. 00
Michele
Cammelli (Université
Paris-Diderot) – 68 et la génération
David Faroult (Université de Paris-Marne-la-Vallée) – Luttes
en Italie du « groupe » Dziga Vertov : « faire politiquement un
film politique » et réciproquement
Diego Melegari (Université de Bologne) – Batailles et
idées :politicité de la recherche théorique chez Panzieri, Fortini e
Foucault
Yves Schwartz (Université de Provence - Aix-Marseille 1 ) –Philosophie,
savoir et expérience du travail